Répertoires musique classique : tout est possible ! - Judith Sibony


Sommaire

Introduction

En musique dite classique ou savante, c’est la question du niveau qui revient sans cesse au fil des entretiens : le niveau serait le premier facteur déterminant pour cibler ce qui pourrait être un répertoire pour amateurs. Cette question sous-tend elle-même celle de l’encadrement : en général, les amateurs de musique classique s’entourent d’un « chef » - il se trouve que tel est le vocabulaire consacré : chef de chœur ou chef d’orchestre - et celui-ci, professionnel ou quasi professionnel, est le plus souvent aussi responsable du répertoire que vont jouer les musiciens ou les chanteurs.

« Les gens qui font de la musique sur leur temps libre choisissent de travailler des œuvres qu’ils connaissent déjà et qu’ils savent abordables pour eux, mais in fine, ce sont les professeurs qui choisissent les répertoires », explique Muriel Mahé, présidente de FUSE (Fédération des usagers du spectacle enseigné).

Coordinateur de Musique en territoires, Stéphane Grosclaude est du même avis : « il est rare que les amateurs choisissent eux-même leur répertoire, dit-il. L’enjeu de la représentation à laquelle aboutit généralement leur travail oblige à poser d’emblée la question des moyens, et donc de l’encadrement. Lorsqu’on prépare un concert, même amateur, il y a un double souci : faire plaisir à tout le monde, aussi bien les interprètes que le public. Or l’amateur n’est pas forcément en capacité d’évaluer cela en amont, comme en témoignent les cas d’abandons en cours de route. Il ne faut pas que le projet soit trop difficile à réaliser… »

À titre d’exemple, on peut citer le témoignage du Chœur Amadeus, chœur de musique classique où chacun est libre de faire des propositions, mais qui s’en remet plutôt à son chef, Laurent Zaïk, pour le choix du répertoire, car l’équilibre entre le désir d’explorer des champs nouveaux et l’injonction à proposer au public du « connu » n’est pas toujours facile à trouver. « Pour cette année, c’est le chef qui nous a proposé de chanter La Création de Haydn. « On n’y avait pas pensé et on trouve que c’est un très bon choix qui attirera du monde et qui motive les choristes », résume Martine de Saint-Jean, choriste d’Amadeus depuis une dizaine d’années.

Faisabilité et familiarité s’imposent donc comme les premiers critères du répertoire amateur

A titre de contre-exemple, on peut cependant citer le COGE : Chœur et Orchestre des Grandes Écoles, où la choix du répertoire fait l’objet d’un protocole très précis entièrement dévolu aux membres de l’orchestre - et jamais aux chefs. Le bureau de l’association constitue (à l’issue de candidatures) des équipes de programmation au sein des musiciens amateurs. Celles-ci envoient une sélection d’œuvres, et tous les membres de l’association sont invités à voter par internet. Les choix définitifs sont ensuite actée en assemblée générale à la fin de l’année. Les principaux critères sont : le souci de se renouveler au maximum, quitte à jouer des pièces audacieuses et peu connues, et le prix des partitions (droit d’auteur et droit de copie), qui implique un dosage entre auteurs anciens dont les droits sont libres, et auteurs contemporains.

Faisabilité et familiarité s’imposent donc comme les premiers critères du répertoire amateur. Tel est, en tout cas, le point de départ de notre enquête. Mais on aurait tort de faire comme s’il y avait d’un côté un répertoire classique et exigent, et de l’autre une sorte de répertoire « facile », avec les connotations négatives que ce mot peut avoir. Pour subvertir cette opposition, il suffit de se pencher un peu sur l’histoire de la musique. Histoire au détour de laquelle on croise les plus prestigieux compositeurs du « grand répertoire » classique, et où l’on découvre qu’eux-même avaient un véritable souci de cette question : pouvoir être joués par des amateurs.

Jean-Sébastien Bach

C’est ce dont témoignent certaines pages du musicologue Gilles Cantagrel dans son livre Sur les traces de Jean-Sébastien Bach. [1] À l’époque de Bach, explique-t-il, il n’y a pas, dans les terres germaniques, de formations musicales permanentes professionnelles destinées à jouer pour les citoyens, c’est à dire à donner des concerts. Les musiciens dits municipaux (généralement des petites fanfares), chargés d’accompagner les principaux événements de la cité (notamment par un choral, matin et soir, sur le parvis de l’hôtel de ville) sont donc… des amateurs, c’est à dire des gens qui vivent, par ailleurs, d’une autre activité : ouvriers, artisans ou employés.

Or il se trouve que Bach en personne a eu affaire à ces amateurs pour animer les saisons musicales de Leipzig, dont il a été responsable pendant huit ans (jusqu’à l’été 1737). « La tâche était lourde. Il lui fallait chaque fois imaginer quelles œuvres il allait faire entendre en fonction des exécutants qu’il aurait sous la main », souligne Cantagrel. Autrement dit, à cette occasion, le compositeur a effectué un profond travail de réflexion sur le répertoire et sur cet enjeu majeur qui caractérise la musique : sa « jouabilité ». Est-ce grâce à une telle expérience que cet auteur virtuose par excellence témoigne d’un souci de pédagogie permanent lorsqu’il compose ? Le fait est que les amateurs font partie intégrante de son paysage intellectuel et artistique.

« Il dit composer ‘à l’attention des amateurs’, ‘pour la récréation de l’esprit des amateurs’. Mais il ne s’agit pas d’amateurs ordinaires. Par là, il entend ceux qui aiment la musique ou ce genre d’œuvres, ce que disent bien le mot Liebhaber ou le mot français amateur, ‘ceux qui ont de l’amour pour, qui cultivent’, et dont ils pensent qu’ils seront peut-être capables de les jouer, comme les partitas. »

Si complexe soit l’œuvre de Bach, la dimension pédagogique y est omniprésente.

Sur la page de titre des Inventions et Sinfonies, Bach prend soin d’indiquer que ces exercices sont destinés « aux amateurs du clavier, et surtout à ceux qui sont désireux de s’instruire ». Et Le Clavier bien tempéré se place sous le même signe : « au profit et à l’usage de la jeunesse musicienne avide d’apprendre, et aussi pour le passe-temps de ceux qui sont déjà habiles en cette étude ». Si complexe soit l’œuvre de Bach, la dimension pédagogique y est omniprésente. « Pour le prochain, afin qu’il s’y instruise », écrit-il aussi en préambule à son Petit livre d’orgue. A la même époque, son grand ami le compositeur Telemann écrit ceci : « un morceau contenant des pages merveilleuses mais bien des passages difficiles est un fardeau à exécuter et provoque souvent des contorsions. Je vais plus loin : qui peut être utile au plus grand nombre fait mieux que celui qui écrit pour une minorité. Ce qui est facile rend service à tous, et il est préférable de s’en tenir là. »

Il est bon, pour les amateurs d’aujourd’hui, de rappeler que les grandes œuvres du répertoire ont souvent été conçues dans le souci d’être jouées par de vrais gens, et non dans la seule optique d’être exécutées par des virtuoses qui se comptent sur les doigts de la main lors de concerts réservés à une élite. Élite et monde amateur sont d’ailleurs plus imbriqués qu’on ne le pense, comme en témoigne aussi cette anecdote concernant l’un de ses chefs d’œuvres les plus connus : L’Offrande musicale. Créée en 1747, cette œuvre a été composée à partir d’un thème proposé par un amateur : le roi de Prusse Frederic II.

Frédéric Chopin

Si le souci de l’amateur est ancré dans la conception même de certaines partitions classiques, il faut dire que, réciproquement, certaines partitions virtuoses ont pu être composées dans un esprit amateur. C’est du moins la thèse d’André Gide dans ses Notes sur Chopin récemment rééditées. [2] « Chopin, au piano, avait toujours l’air d’improviser » écrit Gide. « C’est à dire qu’il semblait sans cesse chercher, inventer, découvrir peu à peu sa pensée. Cette sorte d’hésitation charmante, de surprise et de ravissement n’est plus possible si le morceau nous est présenté non plus en formation successive mais comme un tout déjà parfait, précis, objectif » Gide prend l’exemple des Impromptus (titre hautement signifiant), en expliquant qu’il importe de les jouer de telle manière qu’ils paraissent être improvisés, « c’est à dire avec une certaine, je n’ose pas dire lenteur, mais incertitude ; en tout cas sans cette insupportable assurance que comporte un mouvement précipité. […] Cette musique de Chopin, presque toujours, j’aime qu’elle nous soit dite à demi-voix, presque à voix basse, sans aucun éclat […] sans cette assurance insupportable du virtuose qui la dépouillerait de ses plus précieux attraits. C’est ainsi que jouait Chopin (qui) presque jamais ne faisait rendre au piano son plein son, et par là, décevait souvent son auditoire qui pensait « n’en avoir pas pour son argent ». En l’espace de deux pages, le virtuose en prend pour son grade (il est deux fois qualifié d’insupportable), et l’amateur semble être à la fois la figure originelle et l’horizon des plus belles œuvres de Chopin.

Roland Barthes

Voilà qui nous rappelle ce qu’écrivait le philosophe Roland Barthes sur sa propre expérience de pianiste amateur : son refus de la virtuosité, son goût pour la lenteur. Notamment dans Roland Barthes par Roland Barthes [3], et plus précisément dans ce fragment sur les doigtés, ce passage obligé pour combattre les fausses notes et les hésitations, mais que Barthes considère comme une nécessité bien secondaire si l’on place la priorité du côté du… plaisir. « Au piano, le doigté ne désigne nullement une valeur d’élégance et de délicatesse (ce qui, alors, se dit : « toucher »), mais seulement une façon de numéroter les doigts qui ont à jouer telle ou telle note ; le doigté établit d’une façon réfléchie ce qui va devenir un automatisme : c’est en somme le programme d’une machine, une inscription animale. Or, si je joue mal – outre l’absence de vélocité, qui est un pur problème musculaire –, c’est parce que je ne tiens jamais le doigté écrit : j’improvise à chaque jeu, tant bien que mal, la place de mes doigts, et dès lors, je ne peux jamais rien jouer sans faute. La raison en est évidemment que je veux une jouissance sonore immédiate et refuse l’ennui du dressage, car le dressage empêche la jouissance – il est vrai, dit-on, en vue d’une jouissance ultérieure plus grande (tels les Dieux à Orphée, on dit au pianiste : ne vous retournez pas prématurément sur les effets de votre jeu). Le morceau, dans la perfection sonore qu’on lui imagine sans jamais l’atteindre réellement, agit alors comme un bout de fantasme : « Immédiatement ! », fût-ce au prix d’une perte considérable de réalité. »

Outre cette indulgence à l’égard de celui qui joue de façon aussi imparfaite que passionnée, Roland Barthes fait également l’éloge de la lenteur, disions-nous [4] ; éloge qui complète les considérations de Gide sur Chopin contre la virtuosité.

« 11 juillet 1979. J’entends par hasard à France Musique (Blandine Verlet) une “courante” de Bach (?) que j’adore, la jouant, moi (et pour cause) lentement : elle est alors profonde, moelleuse, sensuelle et tendre, très chantante. La claveciniste la joue 3 ou 4 fois plus vite, au point que je mets du temps à la reconnaître ; tous les caractères précédents sont perdus ; telle petite phrase adorablement chantante n’est même plus repérable – La claveciniste est informée, intelligente, elle a sûrement raison. Mais quel dommage, quelle déception ! – Ceci renvoie au problème : déchirement de qui ne prend plaisir que dans les déformations, les contre-sens. Et aussi : manière “moderne” de refuser, d’annuler la sensualité (goût à la mode de la musique baroque, rejet de la musique romantique). » [5]

De ces réflexions légèrement impertinentes sur l’idéal de la musique classique découle une vision non pas décomplexée ou désinvolte du répertoire, mais disons : une vision libérée, car inscrite en priorité sous le signe du plaisir.

Or l’idée qu’en jouant plus lentement que le tempo idéal on peut rester fidèle à l’esprit d’une œuvre du répertoire est, d’une certaine manière, révolutionnaire, au moins dans la mesure où elle renverse le jeu d’optique traditionnel. D’où cette définition, finalement hautement politique de l’amateur comme allégorie anti-bourgeoise, toujours dans Roland Barthes, par Roland Barthes.

...on pourrait affirmer que l’amateur est en quelque sorte celui qui permet de désembourgeoiser le répertoire.

« L’amateur (celui qui fait de le peinture, de la musique, du sport de la science, sans esprit de maîtrise ou de compétition), l’amateur reconduit sa jouissance (amator : quo aime et aime encore) ; ce n’est nullement un héros (de la création, de la performance) ; il s’installe gracieusement, pour rien, dans le signifiant : dans la matière immédiatement définitive de la musique, de la peinture ; sa pratique, ordinairement, ne comporte aucun rubato (ce vol de l’objet au profit de l’attribut) ; il est - et il sera peut-être - l’artiste contre-bourgeois. »

Pour le dire autrement, on pourrait affirmer que l’amateur est en quelque sorte celui qui permet de désembourgeoiser le répertoire.

Inutile de dire qu’à la lumière de notre enquête, ces considérations écrites il y a plusieurs décennies sont toujours d’actualité. En ce début de XXIe siècle, nombreuses en effet sont les initiatives hautement « anti-bourgeoises » qui visent à dé-sanctuariser la musique classique, le monde des concerts et les préjugés liés à la virtuosité. Certaines de ces initiatives viennent parfois même de structures qui sont, a priori, dédiées aux grands concerts et à la virtuosité. Nous évoquerons ici deux exemples qui nous semblent particulièrement emblématiques : la Philharmonie de Paris et l’Orchestre National de France.

À la Philharmonie de Paris : Pratique en orchestre !

« Tout le monde est capable de tout faire si on met les moyens et qu’on adapte les choses », résume avec un enthousiasme confiant Fabien Lerat, responsable éducatif des pratiques orchestrales et chorales de la Philharmonie de Paris. « Notre but est de permettre un accès facilité au grand répertoire. On part du principe que tout le monde est capable de tout faire si on met les moyens et qu’on adapte les choses. Ça reste des adaptations et des arrangements, mais ça reste aussi du répertoire. Certes, à un haut niveau, jouer de la musique reste l’œuvre de toute une vie, mais nous voulons aussi convaincre le grand public que la musique est aussi à la portée de tous. »

De fait, la « marque de fabrique » de la Philharmonie est de « faire faire » de la musique au plus grand nombre, y compris les vrais débutants. Comme l’explique Marie-Hélène Serra, directrice du département éducation et ressources, que ce soit à travers des instruments classiques ou folkloriques, et des morceaux de musique savante ou folklorique, les actions visant à initier des novices reposent toutes sur un travail de ciblage du répertoire mené en amont par des professionnels. De fait, c’est tout un art de savoir répondre à cette belle question que Marie-Hélène Serra formule ainsi : « comment amener la musique dans les situations les plus diverses et surtout les plus éloignées de cet univers ? »

Associations pour les plus démunis, EHPAD, hôpitaux…Encore faut-il savoir si on parle ici vraiment d’amateurs. « Il faut faire attention à ne pas mélanger les genres pour bien répondre à la cible visée », explique en effet la responsable pédagogique, en rappelant la définition de l’amateur telle que la propose le ministère de la Culture : une définition qui repose sur l’autonomie du choix, ce qui implique, par exemple, qu’on ne fasse pas entrer les enfants dans cette catégorie, considérant que l’individu ne peut faire acte de choix autonome qu’à partir de l’adolescence. De même, selon cette définition, les résidents des EHPAD ou les hébergés d’urgence que la Cité de la Musique initient à tel ou tel instrument à l’occasion d’un atelier ponctuel ne sont pas non plus considérés comme des amateurs.

Ceci dit, la Philharmonie œuvre aussi pour soutenir les « vrais » passionnés de musique (autrement dit : les vrais amateurs), quel que soit leur niveau. C’est ainsi que, depuis l’ouverture de la Philharmonie de Paris il y a cinq ans, celle-ci accueille chaque année dans sa grande salle un concert d’amateurs encadrés par des professionnels du lieu. L’occasion pour ces musiciens qui, en général, jouent dans des églises, de présenter leur travail dans une « vraie » salle de concert. « L’idée est de mettre à disposition les ressources de la philharmonie, en terme de salle mais aussi d’équipement et d’instruments », explique Fabien Lerat. Or (nous y revoilà), cette ouverture s’accompagne aussi d’une ouverture du répertoire : « les amateurs ont la volonté de jouer plein de choses, mais ils se restreignent souvent à un répertoire romantique fin XIXe début XXe, parce qu’il leur manque des instruments, ou de l’espace, etc ».

En plus de cet orchestre, la Philharmonie de Paris a lancé un cycle annuel baptisé Pratique en orchestre, dédié aux adultes amateurs qui n’ont pas le niveau pour jouer dans des orchestres amateurs sans pour autant être des débutants complets. « Pour ce nouveau cycle, on élabore un répertoire à multi niveaux, qui permette de circuler entre partitions simplifiées et partitions originales, et offre un large panorama du répertoire orchestral, du baroque au contemporain », explique Fabien Lerat. Toujours en partant du principe qu’il ne faut pas hésiter à adapter une partition pour servir cette grande cause : le partage de la musique. [6]

À l’ONF : Viva l’orchestra !

À Radio France, l’Orchestre National a une politique encore plus radicale : son orchestre amateur est ouvert à tous les musiciens motivés, dès deux à trois ans de pratique. « Ça nous oblige à adapter les partitions ; pour qu’un hautboïste, même débutant, puisse jouer avec nous » explique le violoniste Marc-Olivier de Nattes qui chapeaute ce beau projet baptisé Viva l’orchestra !. Adapter. C’est aussi simple que ça. Car il n’est pas question de se restreindre dans le choix des morceaux ; au contraire : de ce côté là, l’exigence est d’autant plus grande qu’elle est double : « on doit faire une heure de musique en mélangeant des tubes et des pièces à découvrir, pour que chacun s’y retrouve : que le bon musicien reprenne une pièce connue qu’il a peut-être déjà joué, mais en même temps, qu’il ait aussi la satisfaction d’interpréter une œuvre plus rare ». En général, Marc-Olivier de Nattes rassemble une dizaine de pièces par concert, souvent autour de thèmes : la musique russe, la musique française, la danse, l’opéra, l’Amérique…

Il ne s’agit donc pas de choisir un répertoire selon le critère de sa simplicité, mais de partir du principe qu’on peut le simplifier. Et le rendre compatible avec les membres d’un orchestre comptant une centaine de musiciens de tous niveaux âgés de 8 à 80 ans (à quelques années près, selon les éditions).

« J’aime beaucoup travailler avec les orchestres amateurs, explique encore Marco Olivier de Nattes, mais je n’aime pas quand je sens que l’orchestre est aux limites de ses capacités, explique le violoniste. Je pense que c’est plus intéressant de travailler sur le son, l’interprétation, et d’emmener les gens au concert de cette manière là plutôt que d’être gêné par des problèmes techniques. La question, c’est comment on va être heureux d’avoir fait le concert. Si on est complètement noyé par la difficulté on ne sera pas content, pas épanouis. C’est dans cette optique que j’ai eu l’idée d’adapter les partitions, pupitre par pupitre, selon le niveau des gens. »

L’adaptation implique parfois un gros travail d’allègement, mais loin de dénaturer les morceaux, ce travail implique au contraire d’être le plus fidèle possible à l’essentiel : l’esprit des œuvres.

Ici rejaillit une idée familière à cette étude, et qui concerne toutes les formes d’adaptations par ou pour les amateurs (que ce soit en danse, en théâtre, ou en musique) : bien souvent, le mouvement de simplification est une invitation à réfléchir sur l’essence (et les sens) de l’œuvre, bref, ce qui reste de son âme une fois qu’on s’est affranchi des éventuelles conditions initiales (professionnelles ou virtuoses) de création.

« Pour toucher le moins possible aux œuvres, pour les dénaturer le moins possible, je me base d’abord sur l’esprit ; par exemple, la légèreté pour Satie, ou le côté dansant de tel autre compositeur. Il ne s’agit pas de prétendre qu’on peut tout adapter comme si c’était une fin en soi. On ne va pas changer la tonalité d’un morceau, ou son tempo, simplement on simplifie, on allège. Il faut aussi accepter de tenir compte de chaque cas particulier : penser qu’un débutant au cor, à la trompette ou au trombone ne pourra pas jouer pendant trois minutes de suite, parce qu’il sera épuisé, donc on ne le fera pas intervenir dans tous les morceaux, etc. Ce qui compte, c’est de rester fidèle à l’essentiel : la musique. »

Le site web de la Confédération Musicale de France

La CMF est une fédération de musiciens amateurs qui existe depuis le XIXe siècle. Elle compte aujourd’hui 3 500 structures adhérentes, qui représentent 250 000 musiciens, et brasse tous les types de musique (savante, actuelle, variété…).

Notamment par le biais de Carl Plessis, responsable de la documentation, la Confédération Musicale de France (CMF) est devenue un centre de ressources très précieux pour les amateurs en quête de répertoire. Outre les commissions d’experts chargées de classer par niveau toutes les partitions inédites qui sortent dans l’année (il y en a 2 à 3000 selon les années), la CMF essaie en effet de devenir un outil de découverte pour les amateurs.

« Pour l’instant, ce sont surtout les professeurs qui viennent choisir des partitions pour leurs élèves, ou bien des amateurs qui viennent chercher des partitions correspondant à des musiques qu’ils ont entendues. Autrement dit, pour l’instant les gens viennent sur notre site en sachant déjà ce qu’ils cherchent, mais nous sommes en train de mettre en place des outils pour élargir les usages. »

Ainsi, de nouveaux critères de recherche sont désormais applicables : non seulement par niveau et instrument, mais aussi par nombre de musicien (tenant donc compte de l’éternel problème des troupes amateurs) ou encore par esthétique musicale et par domaine historique.

« Notre but est de créer un OPAC (Online Public Access Catalog) qui, contrairement à ce que suggère cet acronyme, soit tout le contraire d’opaque », explique encore Carl Plessis qui vous invite donc à consulter sa plateforme et recommande les bibliothèques partenaires suivantes : le Lab de Dijon ( avec plus particulièrement le catalogue spécialisé pour la voix de la Cité de la Voix, avec un classement qui tient également compte de la date et du thème des pièces chantées), la bibliothèque du Conseil Départemental pour la Musique et la Culture de Guebwiller, en Alsace (bibliothèque constituée de partitions spécialisées dans le domaine des instruments à vent), la bibliothèque du Conservatoire de musique, danse et théâtre d’Argentan.


Notes

[1Gilles Cantagrel, Sur les traces de Jean-Sébastien Bach, Paris, Buchet Chastel, 2021, p. 77, 81, 89, 95

[2André Gide, Notes sur Chopin, Paris, Gallimard, 2010, p. 40 et suivantes.

[3Roland Barthes, par Roland Barthes, Paris, Points, 1975 rééd. 2014

[5Roland Barthes indique qu’il s’agit de la Quatrième partita de Jean-Sébastien Bach

[6Les ouvrages de la collection « 10 ans avec » ont été numérisés et mis à disposition en 2018 et ne concernent qu’une dizaine d’instruments, mais comprennent de nombreux commentaires pédagogiques. Une partothèque de plusieurs centaines d’arrangement s’est également constituée au fil des expériences auprès des débutants ou des amateurs.

Documents téléchargeables

Quels répertoires pour les amateurs ? - Judith Sibony

En 2020 et 2021, Judith Sibony, autrice et journaliste, a réalisé une observation et une série d’entretiens sur le lien entre répertoire(s) et pratiques en amateur.

Retrouvez ici le sommaire de ce dossier qui met en partage les fruits de son travail et les points de vue qu’elle a récoltés.

FRAGMENTS PRÉLIMINAIRES

  • Introduction
    Le mot « répertoire » désignant la liste des œuvres jouées par un artiste ou une institution, il serait plutôt lié au secteur professionnel. Les pratiques artistiques libres, amatrices, évolueraient quant-à elles en dehors de toutes références officielles. Les deux termes semblent donc antinomiques... Qu’en est-il réellement ?
  1. Le répertoire : un sanctuaire… ou un outil ?
  2. Qui est au service de qui ?
  3. Répertoire intérieur
  • Conclusion
    Du répertoire comme patrimoine vivant : l’art de réveiller les morts

RÉPERTOIRE DANSE / Et bien dansez maintenant ! Répertoire chorégraphique : la revanche de la cigale

  • Introduction
    « Culture chorégraphique » versus « culture de la danse »
  1. Danse en amateurs et répertoires : dispositif du CND
  2. Quel répertoire pour les amateurs qui dansent ?
  3. L’amateur au cœur même du répertoire
  4. Danse populaire et mise en abîme du répertoire
  5. Ce que c’est que vivre…

MUSIQUE / Répertoires classiques : « tout est possible »

  1. Jean-Sébastien Bach
  2. Frédéric Chopin
  3. Roland Barthes
  4. Exemple de la Philharmonie
  5. Viva l’orchestra ! de l’ONF

ENTRETIENS

  1. Maguy Marin, chorégraphe
  2. Malgwen Gerbes, chorégraphe
  3. David Lescot, auteur dramatique
  4. Yasmina Reza, autrice dramatique
  5. Jean-Claude Gallotta, chorégraphe