Comment prendre en compte les pratiques en amateur dans les politiques publiques de la culture ?


par Sonia Leplat, directrice générale de la MPAA

Sommaire


Contexte

Les politiques culturelles françaises sont traditionnellement conçues et présentées dans une logique d’accès à l’offre : création, diffusion, action culturelle. La dimension de « pratique » est souvent reliée à un accès privilégié à l’artiste ou à l’œuvre, dans une volonté de meilleure appropriation, ou dans une logique de transmission, conformément aux dispositifs d’éducation artistique et culturelle (EAC). Au regard des droits culturels, et notamment de celui à participer à la vie culturelle de son territoire, il semble essentiel de considérer les pratiques des personnes indépendamment de ce qui est conçu pour les habitant·es, par des personnes supposées « expertes »ou « qualifiées ».
Les collectivités territoriales sont sollicitées, selon leurs prérogatives, pour le soutien des pratiques en amateur. Selon les échelons, il s’agira de demandes financières ou logistiques, le plus souvent de lieux, ou tout simplement de reconnaissance. Les politiques culturelles intègrent rarement les pratiques en amateur. Les demandes en la matière sont perçues comme « en plus », non recevables, voire concurrentielles. Elles peuvent aussi faire l’objet de discorde entre services et élu·es.

23 millions de personnes en France déclarent avoir au moins une pratique artistique régulière. Comment identifier ce qui existe sur son territoire et comment intervenir pour référencer et valoriser ces pratiques ?


1. Pratiques artistiques ou culturelles ? De quoi parle-t-on ?

Si le terme « artistique » renvoie clairement à ce qui relève de l’art, il n’est pas si évident de s’entendre sur le périmètre couvert par le mot « culture » ou « culturel ». Les professions de la « culture » entendent traditionnellement une référence métier à ce qui relève de de leur secteur d’activité : les arts, les artistes, les équipements, les publics.

Cependant, au gré des mutations sociétales en cours et au regard de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels (1993), la culture affirme aujourd’hui une dimension anthropologique et se définit davantage comme tout ce qui fait lien entre nous, ce qui permet d’exprimer notre humanité, individuellement ou en groupe. Observer les pratiques culturelles, c’est donc observer ce qui génère du commun et constitue du référentiel dont chaque citoyen·ne peut se saisir et se prévaloir.

Dans cette perspective, la dimension académique des pratiques artistiques peut également être questionnée. Les pratiques artistiques de référence (musique, théâtre, danse, dessin, écriture, etc., et plus récemment les arts vidéos, numériques et associés) sont depuis longtemps complétées par des pratiques plus alternatives. Mais peut-être est-il temps de revoir cette notion d’alternatif, qui – si l’on se réfère par exemple au rap ou au hip-hop – constitue la base de nouvelles normes ou a minima témoigne d’une diversité culturelle toujours en renouvellement.

La question des pratiques pose donc la question des activités. Est-on dans une pratique artistique qui consiste à « faire », l’apprendre par le faire ? Un cours de théâtre, un enseignement musical, un cours d’art ou de dessin ? Est-on dans une approche normée, évaluée, académique, de type conservatoire ? Ou bien dans une pratique dite « de loisirs », de cours associatif ? La direction de tutelle est-elle la Culture ? Jeunesse et sport ? Citoyenneté ? Éducation ?

S’agit-il d’une pratique artistique au sens strict ou dans une pratique plus largement culturelle qui intègre, éventuellement, selon le périmètre que l’on se donne, les pratiques de spectateur·ice ou de visite de musée, de fréquentation des bibliothèques, ou encore des pratiques collectives autour de jardins partagés, des projets de tiers-lieux ou des cours de cuisine.

La question posée ici est celle des finalités, de la réconciliation entre culture et éducation populaire, et des moyens publics répartis sur ces différentes finalités dans des périmètres politiquement choisis.

Au-delà des publics individuels plutôt jeunes, la pratique artistique interroge ici les pratiques collectives et l’autonomie, ainsi que la position de l’usager, comme bénéficiaire d’une offre ou, au contraire, comme à l’initiative d’une proposition qui existerait avec ou sans la puissance publique.

Les études sur les pratiques culturelles des Français ne distinguent jusqu’alors pas ces enjeux de pratiques :

  • encadrées (par l’institution, des professionnel(le)s, etc.) ;
  • autonomes (à l’initiative des personnes ou des groupes) ;
  • individuelles (encadrées/cours ou autonomes/à distance, ou en DIY – do it yourself) ;
  • collectives (le plus souvent autonomes/associations/projets amateurs).

Les pratiques culturelles sont régulièrement étudiées. Une enquête sur les pratiques culturelles des Français est réalisée régulièrement depuis 1970. Elle fait état d’une montée en puissance de la culture dans la vie quotidienne, surtout à travers des pratiques individuelles et de plus en plus numériques. La dernière édition de 2020 établit la part largement majoritaire de pratiques en ligne.

La majeure partie de l’enquête traite la consommation de biens culturels : nombre de livres lus, fréquentation des salles, des cinémas. Elle traite également la pratique artistique en amateur (p.68 et suivantes) et pose le constat d’un repli. Cependant, elle pose aussi le préalable d’une concurrence entre pratiques numériques (distancielles, individuelles) et pratiques plus traditionnelles, sans poser les objectifs de temps passé, d’interactions avec un ou des collectifs, et de la sortie du modèle de l’enseignement au profit de la transmission entre pair·es.

S’il n’est pas avéré qu’il y a une corrélation entre le fait d’avoir une pratique artistique en amateur et le fait de fréquenter les théâtres (on dit parfois l’inverse), il est essentiel de prendre en compte l’investissement artistique et citoyen des personnes qui mènent ou intègrent un projet artistique : investissement en temps, ressources, formation initiale ou continue, animation du territoire, etc.

Le constat récent (post-Covid) de baisse de fréquentation des salles ne constitue pas le seul indicateur de dynamisme du territoire. On peut observer les initiatives artistiques ou culturelles, leur intégration à un écosystème, entendre leurs besoins et éventuellement structurer des réponses.


2. Le cadre légal

L’ article 103 de la loi n° 2015-991 de 2015 pose le partage des compétences, et le respect des droits culturels. Elle ne précise pas plus les degrés d’intervention de chaque collectivité.

Dans les faits, les soutiens aux pratiques artistiques des amateur·ices relèvent :

  • des communes ou de leurs regroupements par logique de territoire et de proximité ;
  • des départements dans le cadre des schémas départementaux qui parfois intègrent les pratiques artistiques en amateur ;
  • de toutes les collectivités concernant des initiatives de soutien ou de valorisation dans un domaine thématique : lecture publique/département ; culture.

L’ article 32 de la loi n° 2016-925 de 2016 définit le statut de l’amateur : « Est artiste amateur dans le domaine de la création artistique toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération. »

Cette définition, si elle a le mérite de clarifier la position de l’amateur vis-à-vis du professionnel, est construite au regard du Code du travail qui définit le statut des professionnels et donc se présente sur un mode négatif. Ainsi, les amateurs ne sont pas rémunérés et ne se produisent pas dans un cadre lucratif, sauf à titre de participant·es dans un spectacle professionnel, selon un nombre annuel maximal de présentations à respecter, selon le décret n° 2017-1049 du 10 mai 2017.

Du statut légal et économique à l’acception étymologique – celle ou celui qui aime – le mot « amateur » semble ne pas donner à voir toutes les facettes possibles de la pratique. Il dit l’intérêt et les conditions d’exercice, mais semble limité par une connotation négative de « dilettante », voire de « ringard », ou de mauvaise qualité.

Voir à ce sujet la très éloquente vidéo de Mohamed El Khatib à l’occasion d’une rencontre Amateur ? Oui. Et alors ? organisée par la Maison des pratiques artistiques amateurs en 2018.


3. Amateur ou participant·e ?

Dans le langage courant des politiques culturelles, « amateur » s’emploie en matière de pratiques artistiques davantage que pour témoigner de la curiosité passionnée d’un·e spectateur·ice, lecteur·ice ou visiteur·euse de musée. Les pratiques en amateur renvoient à différentes acceptions qu’il convient de préciser.

Ainsi, selon le contexte, les amatrices et amateurs sont :

  • les élèves (dans les conservatoires, en matière d’éducation artistique et culturelle, dans les écoles publiques et parapubliques, les cours privés, les cours associatifs) ;
  • les personnes qui participent individuellement à des spectacles, initiatives, créations participatives, conçues par des professionnel·les et souvent proposées par des scènes labellisées ;
  • les personnes qui se regroupent autour de projets et constituent des groupes, ensembles, compagnies, chorales, orchestres, troupes, etc., autonomes, le plus souvent sous une forme associative. Ces associations peuvent elles-mêmes se regrouper en fédérations, la plupart du temps par domaines artistiques. Les personnes qui se regroupent autour de projets autonomes se rencontrent très souvent au préalable dans des ateliers, des cours, ou à l’occasion de participations à un spectacle offrant une partition aux amateur·ices.

Dans le dernier cas de figure, la notion d’autonomie est centrale. Elle constitue un critère d’identification pour la reconnaissance de personnes qui entrent jusqu’alors peu dans les orientations des politiques culturelles. Il n’est plus question d’offrir une place conçue pour que des personnes prennent part à un projet dans lequel elles sont finalement interchangeables, mais de porter attention à ce qui se joue, se crée, se montre sur un territoire en dehors des formats conçus par l’institution et les professionnel·les.


4. Connaître son territoire et établir un diagnostic

Les éléments de lexique, d’usage et de réglementations qui précèdent permettent de situer sa collectivité au regard des enjeux de prise en compte des pratiques en amateur. Le périmètre se définit en fonction d’un projet politique plus ou moins volontariste en la matière, mais aussi de l’histoire et du contexte du territoire lui-même.

Les pratiques en amateur reflètent une histoire, un équilibre, et témoignent d’une identité culturelle.
L’observation est souvent le premier réflexe à adopter  : quels sont les festivals, les salons, les fêtes, les temps forts récurrents ? Quels liens avec le mode de vie du territoire,
son patrimoine bâti, industriel, immatériel ? Y a-t-il des fêtes populaires importantes, votives, folkloriques, qui mobilisent des acteurs importants du territoire : associations, artisans, pratiques thématiques (combat à l’épée, chant médiéval, battle de breakdance, concours de chant, etc.) ? Quels sont les liens entre ses acteurs ? Les rapports de force éventuels ? Les passerelles déjà existantes avec l’offre artistique et culturelle ?

Au-delà de cette appréhension sensible, un diagnostic peut être proposé. Une étude approfondie des pratiques existantes peut faire l’objet d’une mission externalisée selon un cahier des charges et des objectifs politiques. L’externalisation a la vertu d’apporter méthodologie et efficacité.
Cependant, elle demande tout de même du temps d’accompagnement et des moyens financiers plus importants qu’une réalisation en interne. Un diagnostic porté par le service culturel ou un service en interne aura le mérite d’approfondir la connaissance des acteurs et de proposer un travail interservices, voire de diagnostic partagé sur le territoire, avec les acteurs eux-mêmes.

Le diagnostic interne à la collectivité permet de mobiliser les ressources internes : les fichiers et le recensement des acteurs des pratiques en amateur, et la connaissance qu’en ont les services jeunesse, sport, vie associative, citoyenneté, éducation, etc. Il peut être pertinent d’opérer des rapprochements avec les opérations soutenues par le service « fête et cérémonie » ou les rassemblements « vaguement culturels », pas forcément légitimés, qui ponctuent l’année, occupent des lieux, communiquent, qui ont « toujours été là »et ne semblent pouvoir être questionnés qu’avec une certaine appréhension.

Le diagnostic partagé sur le territoire peut être porté en collaboration avec une autre collectivité, un établissement de références et aura le mérite de penser une méthodologie tout de suite collaborative.

Le recensement, au-delà des fichiers existants, peut s’appuyer sur la communication trouvée en ligne ou sur le territoire et même relever de démarches volontaristes :

  • réunions publiques sur le thème « Et vous ? quelle(s) pratique(s) artistique(s) avez-vous ? » ;
  • appels à manifestation d’intérêt ou recensement ;
  • appels à projets, dans l’optique d’une programmation par exemple.


5. Typologie des pratiques en amateur

Le recensement des pratiques s’établit souvent par disciplines artistiques (théâtre, danse, musique, art plastique, vidéo, écriture) et/ou culturelles (club cinéma, jardinage, cuisine, etc.), car il s’alimente par passerelles : porosités entre les personnes, les associations ou les pratiques entre elles ; une personne rencontrée renvoie sur une autre qu’elle connaît, par affinité ou connaissance au sein d’un réseau ou d’une communauté.

Il peut cependant être intéressant, une fois l’état des lieux réalisé, de présenter une typologie qui corresponde à des objectifs :

  • en matière d’élaborations de réponses par la collectivité : associations subventionnées/non subventionnées ; avec mise à disposition de locaux/sans mise à disposition/faisant partie de réseaux soutenus, collectifs, fédérations, etc. ;
  • en matière d’activités ou de publics concernés : faire venir des publics pour des spectacles, manifestations, expositions ; faire de la médiation entre des publics et un établissement, un savoir ; organiser des visites ; organiser des actions pour des publics fragiles ou isolés, etc.

Les objectifs des acteurs en matière de service public ou de publics concernés peuvent constituer un critère de classification directement en lien avec une politique culturelle.

Peuvent par exemple être distinguées les pratiques :

  • relevant de pratiques autonomes ayant pour finalité la création d’un projet :
    • création de spectacles de théâtre, de danse, de comédies musicales, de clown, voire de cirque ou des performances, en salles ou dans l’espace public,
    • formations musicales instrumentales : orchestres, harmonies, fanfares, batucada, etc.,
    • chorales, groupes vocaux,
    • pratiques communautaires ou historiques : danses du monde, pratiques folkloriques ou traditionnelles, transmission de la langue ;
  • relevant de cours ou de l’enseignement artistique :
    • cours associatifs publics ou parapublics,
    • cours privés (arts, musique, etc.) subventionnés ou non ;
  • relevant d’occupation d’un lieu avec ou sans partage des salles :
    • lieux alternatifs, tiers-lieux, proposant plusieurs activités, avec partage d’espace,
    • associations mettant à disposition des salles en location privée ;
  • relevant de programmations portées par les amateur·ices) dans des lieux qui leur sont mis à disposition :
    • amis du théâtre populaire,
    • festivals ;
  • relevant de la valorisation de patrimoines ou d’animation de savoirs :
    • les ami(e)s des musées,
    • les clubs lecture, cinéma, etc ;
  • relevant de la médiation avec des publics :
    • lecture à voix haute dans les services hospitaliers,
    • mise à disposition de livres, artothèques, etc ;
  • relevant d’alternatives échappant à la structuration : les squats, les spots de danse dans l’espace public, l’urbex, etc.

Il peut être utile aussi de préciser la manière dont les personnes concernées prennent part ou pourraient prendre part à la vie du territoire :

  • Organisation de festivals amateurs par des troupes elles-mêmes ?
  • Organisation de festivals thématiques ?
  • Visites sensibles par des associations de patrimoine ?
  • Accueil et visites par les habitant(e)s : les Greeters ?

Ces identifications interrogent le lien actuel ou à construire avec la collectivité ou les institutions en général. Il permet aussi de mieux identifier le bénévolat, l’engagement citoyen, et au-delà les envies et les besoins des personnes ou groupes concernés.


6. Quels besoins pour les pratiques artistiques en amateur ?

En matière de pratiques artistiques, le premier besoin identifié est le besoin de lieux.

Les groupes, notamment en matière de spectacle vivant, ont besoin de salles de répétition suffisamment grandes, accessibles à toutes et tous, y compris financièrement. Les arts plastiques, visuels, ou plus généralement individuels demanderont plutôt des ateliers avec accès à un point d’eau et du matériel correspondant à leur pratique.

Au-delà de cette partie répétition, travail, préparation, la pratique artistique appelle la rencontre avec un public et nécessite l’accès à des lieux de monstration, de diffusion, des théâtres, des galeries ou des halls d’exposition.

Si les salles de répétition ou les lieux de travail peuvent relever d’une organisation spécifique aux amateur·ices (horaires en soirées ou week-ends, conditions d’accès), les lieux de diffusion sont essentiellement ceux des pratiques professionnelles et nécessitent une articulation avec l’offre existante.

L’ article 2 du décret 2017-1049 du 10 mai 2017 relatif à la participation d’amateurs à des représentations d’œuvres de l’esprit dans un cadre lucratif précise que les lieux de création et diffusion peuvent proposer jusqu’à 10 % de projets amateurs dans leur programmation annuelle.

La problématique d’accès à des salles de répétition invite aux questions suivantes, qui relèvent de la gageure pour les collectivités :

  • Des lieux adaptés (salles disponibles dans les conservatoires, les écoles municipales, les salles des fêtes, paroissiales, etc.) existent-ils ?
  • Peuvent-ils être mis en partage ? À quelles conditions ? Quels freins ?

Exemples : les salles du conservatoire sont disponibles le dimanche, mais il doit y avoir du personnel municipal pour en assurer l’ouverture, et la commune ne peut financer ce surcroît d’activité. Ou la salle municipale est en accès libre avec prêt de clés, mais cela pose des problèmes d’assurance, ou de responsabilité (cf. fermeture des salles post-Covid). Les problématiques de compétences techniques constituent aussi très souvent un frein.

Le besoin financier est ensuite souvent exprimé.

En matière de pratiques artistiques, des subventions sont sollicitées pour :

  • l’organisation de projets ponctuels (organisation de festivals, salons, rencontre, parfois création d’un spectacle) ;
  • des besoins de fond, notamment quand il n’y a pas de mise à disposition de lieux, la location d’une salle constitue un poste de dépense lourd à l’année ;
  • plus rarement, des achats de matériel.

Dans ce dernier cas, il peut être intéressant de mettre en place une réflexion sur les actions possibles en matière de mutualisation : achats groupés, recyclages de décors, de costumes, d’outils, de stockages ou de transports mutualisés, etc. Associer une recyclerie ou des associations mobilisées sur la transition écologique et le recyclage peut s’avérer utile.

Enfin, le besoin, rarement exprimé, mais souvent sous-jacent, s’avère être le besoin de reconnaissance.

Les personnes investies dans leurs pratiques le sont avec passion, et certaines d’entre elles mobilisent beaucoup d’énergie pour être locomotives des autres. Elles sont aussi souvent bénévoles, parfois investies dans plusieurs associations. Le travail de diagnostic qui permet d’entrer en contact et, de ce fait, d’avoir une meilleure connaissance est un premier pas vers cette re-connaissance.

Sans pouvoir ou vouloir y dédier des moyens considérables, le fait d’inscrire une dimension « pratiques amatrices » dans une politique culturelle encourage les personnes concernées à se faire connaître, à se parler entre elles, à sentir leur légitimité.


7. Valoriser les initiatives et animer un réseau

À partir du diagnostic, la collectivité peut évaluer :

  • les besoins exprimés ;
  • les moyens nécessaires et les objectifs à court, moyen ou long terme pour y répondre ;
  • l’articulation existante ou souhaitable entre les pratiques identifiées et les offres disponibles sur le territoire.

Elle identifie également des personnes et des groupes, leur investissement sur le territoire, leurs affinités entre elles et des croisements avec certains axes de la politique culturelle.
En fonction des objectifs, la collectivité peut avoir un grand intérêt à mettre à l’honneur les initiatives des amateurs et des amatrices sur le territoire, à travers des programmations tout au long de l’année ou concentrées sur un temps fort ou un festival annuel, selon la cohérence des domaines et des temporalités déjà existantes. Elle peut mobiliser les acteurs institutionnels et professionnels déjà présents pour co-construire avec elle et avec les intéressé(e)s une politique culturelle inclusive et représentative des dynamiques territoriales.
Cette reconnaissance des pratiques en amateur, outre le fait qu’elle répond au besoin d’effectivité des droits culturels, permet un dialogue réel sur des considérations concrètes de présence et de mise en œuvre. Elle invite également à l’investissement des personnes et à l’engagement citoyen.
Si cette valorisation artistique et culturelle n’est pas envisageable, ou si les moyens suffisants ne peuvent être mobilisés, la collectivité peut choisir d’intervenir dans un rôle d’animation du ou des réseaux du territoire en matière de pratiques en amateur. Il peut lui revenir la responsabilité d’un équilibre dans l’écosystème largement culturel, celle du lien entre amateur·ices, mais également avec les institutions, les professionnel·les, les lieux, et les publics visés par les différentes politiques publiques en rapport avec le lien humain, autour des préoccupations les plus fréquentes : l’accès aux lieux, la visibilité, la mutualisation, les compétences techniques.


Suggestions

Travaillez à plusieurs, croisez les perceptions
N’oubliez pas que vous observez et vous vous exprimez d’un seul endroit : votre expertise, votre expérience, vos goûts. Pensez le plus possible à l’ouverture à tous les domaines, impliquez les équipes, à plusieurs niveaux d’expertises et de sensibilité. Privilégiez autant que possible le diagnostic partagé.

Prenez en compte les goûts et la sensibilité, soyez pragmatique
Les raisons qui poussent les élu(e)s ou les services à octroyer ou non une aide aux pratiques artistiques autonomes relèvent souvent de relations interpersonnelles. Ne négligez ni les arguments à formuler au regard du service public à rendre, ni la dimension subjective, informelle, voire affective qui peut également exister.

Ne confondez pas « cours » et « pratiques autonomes »
Les amateurs et amatrices en groupes autonomes ne sont pas des élèves. Même s’il y a souvent un(e) interlocuteur·trice privilégié·e (leader, président·e de l’association, etc.), le reste du groupe est bien présent derrière et on ne s’adresse pas à lui ou elle comme à la référente qui gère un groupe d’élèves. Cette différence de projet est aussi une grande différence économique et peut impliquer des modalités de prise en compte différentes, notamment en matière d’accès aux salles de répétition.

Évitez de reproduire une hiérarchie en opposant amateurs et professionnels
Les personnes qui pratiquent en amateur entretiennent rarement un désir de professionnalisation. Passé les années de formation, « être repéré·e » ou « faire carrière » n’est plus un sujet et il faut pouvoir le dire et l’entendre sereinement.
Pour un dialogue serein, il semble opportun d’éviter de confronter les modèles : les amateur·ices ont des besoins et des attentes spécifiques, et ne souhaitent pas être comparé·es ou opposé·es aux professionnel·les.
Il faut rappeler ici que le statut d’intermittent du spectacle qui existe en France a tendance à mettre en exergue cette opposition, et que ce n’est pas autant le cas dans d’autres pays. Différentes conceptions de l’amateurisme existent en Europe, et dialoguent entre elles,
notamment via l’association Amateo. Les pays anglo-saxons ont par exemple tendance à privilégier les actions dans le champ du social, ce qui revient en France à parler d’action culturelle. Les troupes ou compagnies autonomes relèvent davantage de la sphère « création ».

Participation

Qu’est-ce que participer à la vie culturelle ?

Qu’est-ce que participer à la vie culturelle d’un territoire ?
Comment la politique culturelle et les institutions qui la conçoivent permettent-elles la participation ?

Pleinement inscrit dans les droits culturels, le droit à la participation est peut-être l’un des plus concrets, l’un de ceux que l’on arrive le plus vite à se figurer.
Mais qu’est-ce exactement que participer ? Quel est le degré d’autonomie ? la proportion de retours ?

Dans son ouvrage Participer : essai sur les formes démocratiques de la participation, la philosophe et spécialiste de John Dewey, Joëlle Zask, développe une approche de la participation qui a particulière éclairé la démocratie participative. Elle envisage trois degrés ou phases de la participation : prendre une part ; apporter une part ; recevoir une part.

A l’aune de cette réflexion qui sera présentée plus en détail, ce dossier présente différentes initiatives, points de vues et expériences en matière de participation.