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Cadre juridique et pratique en amateur

Droit Spectacle vivant
Justitia

par Audrey Boistel

 

Pratiquer en amateur, seul ou en groupe, les arts de son choix mérite d’être érigé en droit fondamental tant ces pratiques participent pleinement au développement et à la richesse de la vie culturelle de notre pays, et ce, sans nuire à la professionnalisation des artistes qui souhaitent faire de leur pratique un métier. C’est pourquoi l’artiste amateur nécessite d’être défini juridiquement.

 

L’amateur, dont l’histoire débuterait à la fin du XVe siècle pour désigner celui qui aime quelqu’un, puis qui évolue pour désigner celui qui aime une chose, est une figure incontournable du paysage artistique contemporain.

La caractéristique première de l’amateur pourrait être l’appétence du savoir. Le sociologue et musicien Richard Sennett souligne en 2014 : « au XVIIe siècle, le mot “amateur” était bel et bien appliqué aux gens qui étaient curieux de tout.(1) »

C’est au XIXe siècle que l’amateur change de costume. Le fin connaisseur curieux s’exerce et pratique pour le plaisir une discipline artistique. On passe de « l’amateur de » à « l’amateur en »  et l’on glisse d’une acception relativement élitiste à une conception plus dépréciative, l’amateur étant celui qui développe une activité pour son plaisir dans un contexte non professionnel.

L’artiste amateur est né…

Mais il doit cohabiter avec l’artiste-travailleur, professionnel, qui constitue pour certains auteurs « une incarnation possible du travailleur du futur ».(2)
Et s’il est vrai que l’artiste, comme tous les travailleurs intellectuels, a une profession particulière à laquelle il est parfois difficile d’adosser les concepts usuels de métier et de travail(3), l’amateur ne saurait entacher la longue histoire de la professionnalisation de l’artiste et l’on perçoit assez vite les enjeux de cohabitation qui se dessinent.

L’amateurisme, terme souvent considéré comme péjoratif car renvoyant à tort à un défaut de qualité, serait en réalité à considérer comme une pratique artistique dénuée de toute velléité de rentabilité, empreinte de grande liberté et d’autonomie.

Par ailleurs, pratiquer en amateur seul ou en groupe, les arts de son choix mérite d’être érigé en droit fondamental tant ces pratiques participent pleinement au développement et à la richesse de la vie culturelle de notre pays. Elles nourrissent les territoires d’expériences multiples, l’art est en effet vecteur de lien social, d’intégration et d’ouverture.

L’impact des activités artistiques et culturelles sur la santé est même mesuré par l’OMS. Un rapport de l'OMS de 2019 examine cinq catégories d'art : la culture (musée, concert, théâtre), la littérature (écrire, lire), les arts visuels (peinture, photo, design), les arts de la scène (chant, musique, danse, cinéma) et les arts en ligne, et conclu que l'art aurait une influence positive sur la santé mentale et physique.

On comprend dès lors que nombre de structures encouragent la pratique artistique sous toutes ses formes, entremêlant à foison et à raison la diversité de celle-ci, glissant aisément du champ amateur au champ professionnel et inversement jusqu’à tenter l’hybridation des deux formes.

Les enjeux de développement culturel et de liberté d’exercice du droit fondamental de la pratique artistique viennent alors se heurter à des concepts juridiques visant à encadrer la pratique artistique à titre professionnel…

Loin de vouloir opposer ces deux modèles, notre ambition est au contraire de favoriser la compréhension du cadre juridique pour mieux préserver nos libertés, nos pratiques, nos métiers…

 

(1) Richard Sennett, Ensemble, pour une éthique de la coopération, Paris, Albin Michel, 2014, p. 153.
(2) Pierre-Michel Menguer, Portrait de l'artiste en travailleur - Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil, 2003.
(3) Eliot Freidson, Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique, in Revue française de sociologie, 1986, vol. 27, numéro 3, p. 431-434.

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Quelques éléments historiques de compréhension

Du point de vue réglementaire, la notion d’artiste amateur est définie pour la première fois en 1953.

L’article ler du décret du 19 décembre 1953 précise qu’est dénommé groupement d’amateurs tout groupement « qui organise et produit en public des manifestations dramatiques, dramatico-lyriques, vocales, chorégraphiques, de pantomimes, de marionnettes, de variétés, etc., ou bien y participe et dont les membres ne reçoivent, de ce fait, aucune rémunération, mais tirent leurs moyens habituels d’existence de salaires ou de revenus étrangers aux diverses activités artistiques des professions du spectacle ».

Ce décret est à replacer dans un contexte historique spécifique.

La professionnalisation du secteur du spectacle vivant est balbutiante à l’époque de ce décret mais elle existe et il faut donc noter d’emblée que du point de vue réglementaire, la notion d’amateur n’existe que dans le champ du spectacle vivant.

la notion d’amateur n’existe que dans le champ du spectacle vivant

La réglementation professionnelle du secteur  du spectacle vivant  trouve son origine dans  une ordonnance du 13 octobre 1945 qui définit et réglemente la profession d’entrepreneur de spectacles, et qui introduit l’obligation de détenir une licence pour pouvoir exercer la profession. Cette ordonnance a été profondément modifiée par une loi du 18 mars 1999 puis récemment par l’ordonnance du 3 juillet 2019 précisée par le décret du 27 septembre 2019.

Il faut par ailleurs attendre les années 1960 pour que soit généralisée le régime de l’intermittence du spectacle à l’ensemble des artistes et techniciens du spectacle et c’est en 1969 qu’est introduit la notion fondamentale de présomption de salariat des artistes du spectacle.

L’ensemble de ces réglementations visant à favoriser la professionnalisation des artistes du spectacle ne concerne que le secteur du spectacle vivant. Et à l’époque, les spectacles amateurs sont souvent issus du contexte estudiantin ou ont souvent lieu dans le cadre scolaire.

Il est important de souligner qu’elle cloisonne de manière très franche pratique amateur et pratique professionnelle.

Avant 2016, il n’existait aucune porosité réglementaire entre le spectacle amateur et le spectacle professionnel, alors même que la pratique, elle, se nourrit d’hybridité : au plateau, professionnels et amateurs se côtoient de plus en plus depuis le début des années 2000.
Il fallait donc répondre à l’insécurité juridique et légiférer pour prendre en compte l’évolution des pratiques artistiques tout en respectant les enjeux liés notamment à la professionnalisation des artistes.

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Qu’est ce qu’un artiste amateur ?

La définition légale de l’artiste amateur

La loi du 8 juillet 2016, codifiée pour partie au sein de l’article L. 7121-4-1  du code du travail dispose que :
« Est artiste amateur dans le domaine de la création artistique toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n'en tire aucune rémunération. »

La loi poursuit et complète : « L'artiste amateur peut obtenir le remboursement des frais occasionnés par son activité sur présentation de justificatifs. »

À noter
Cette définition constitue le premier point de l’article 32 de la loi précitée. Deux autres points sont évoqués au sein de cet article, l’un concerne plutôt les structures de spectacle amateur évoluant dans un cadre dit non lucratif. L’autre concerne les structures professionnelles de spectacle vivant et le cadre dit lucratif des représentations. C’est notamment ce dernier point qui permet la mixité de plateau amateur et professionnel sous certaines conditions.

A retenir s’agissant de l’artiste amateur

> pratique artistique seule ou en groupe

> à titre non professionnel

> aucune rémunération mais remboursement de frais sur justificatifs possible

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Distinction amateur/professionnel

Une distinction subtile mais essentielle

L’artiste amateur exerce, selon la loi, à titre non professionnel, cela oppose de fait l’artiste amateur à l’artiste professionnel.

Mais alors qu’est ce qu’un artiste professionnel ?

Il n’existe pas de définition stricte et précise au plan juridique de l’artiste professionnel.

Pour autant plusieurs indices, notamment réglementaires, permettent d’évaluer le statut professionnel de l’artiste dans le champ du spectacle :

> S’il bénéficie du régime dit « intermittent du spectacle » au titre de l’annexe 10 de la convention générale d’assurance chômage en tant qu’artiste du spectacle, il sera de fait considéré comme professionnel, car cela signifie en pratique qu’il a accumulé suffisamment d’heures salariées en tant qu’artiste du spectacle.
Attention : ne pas bénéficier du régime d'assurance chômage spécifique aux intermittents du spectacle n’exclut pas la qualification de professionnel ! L’indice suivant est essentiel à la reconnaissance du caractère professionnel de l’artiste du spectacle.

> L’indice prépondérant est en effet la rémunération au titre d’une fonction d’artiste du spectacle. Mais alors combien de fois ? Pendant combien de temps ? La réglementation reste muette sur ce point et n’offre pas ce niveau de précision. Il s’agira alors d’adopter une analyse casuistique et de bon sens. A titre d’exemple : un libraire salarié à temps complet, artiste musicien amateur qui aurait perçu une rémunération lors d’un concert une seule fois il y a 3 ans serait t-il vraiment considéré comme un artiste professionnel au plan juridique ? Rien n’est moins sûr. L’indice suivant pourrait peser dans l’évaluation de ce cas.

> Un indice accessoire mais un argument solide : les velléités de professionnalisation de l’artiste sont à interroger, nous l’avons vu en introduction, l’amateurisme suppose une absence de recherche de rentabilité et de productivité.

 

Artiste amateur

> exerce une activité artistique à titre NON professionnel

> comme le bénévole, il ne tire aucune rémunération de cette activité artistique (entendue au sens large, il n’y a pas de notion d’activité principale dans la loi)

Artiste professionnel

> exerce une activité artistique à titre professionnel

> doit donc être rémunéré de manière systématique

Dès lors que l’artiste est professionnel, il tombe sous le coup de la présomption de salariat

Dès lors que l’artiste est professionnel, il tombe sous le coup de la présomption de salariat des artistes du spectacle selon l’article L. 7121-3 du Code du travail (4), ainsi il ne répond plus aux critères définissant l’amateur, et ne peut donc plus être « amateur », il DOIT être salarié en conformité avec les dispositions du code du travail et rémunéré selon les barèmes de la convention collective applicable.

Soulignons également que selon l'article L7121-2 du Code du travail, sont notamment des artistes du spectacle :

  • l'artiste lyrique
  • l'artiste dramatique
  • l'artiste chorégraphique
  • l'artiste de variétés
  • le musicien
  • le chansonnier
  • l'artiste de complément
  • le chef d'orchestre
  • l'arrangeur-orchestrateur
  • le metteur en scène, le réalisateur et le chorégraphe, pour l'exécution matérielle de leur conception artistique
  • l'artiste de cirque
  • le marionnettiste
     

(4) « Tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n'exerce pas l'activité qui fait l'objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce. »

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Des questions ?

Des questions ?

Les éléments de réponses ne se substituent pas aux conseils d’un professionnel du droit et chaque question suppose d’interroger le contexte préexistant.

 

Quid de l’enfant amateur ?

La pratique artistique amateur est bien évidemment accessible aux enfants. Et nombreux sont ceux qui participent à des ateliers de théâtre, de danse conduisant parfois à une monstration publique de leur travail dans le cadre notamment de séance pédagogiques ouvertes. Pour autant, la réglementation relative aux amateurs ne s’applique pas aux enfants. Ils ne peuvent donc pas participer à des spectacles professionnels en tant qu'amateur.

En conséquence, un mineur de moins de 16 ans doit forcément être salarié dès lors que sa prestation est effectuée dans un cadre lucratif, conformément à la réglementation spécifique prévue par le code du travail aux articles L. 7124-1 à L. 7124-35 du code du travail.

 

Quid de la participation d’un musicien professionnel à un spectacle amateur en tant que comédien amateur par exemple ?

L’artiste du spectacle professionnel est perçu sous l’angle de sa professionnalisation quelle que soit la discipline exercée, diffuser ce spectacle amateur, dans un cadre lucratif, au sein d’une structure professionnelle par exemple, suppose de rémunérer cet artiste professionnel.

 

Quid des risques encourus si un artiste professionnel est en réalité traité comme un artiste amateur ?

Il y a aura donc inapplication de la présomption de salariat des artistes du spectacle et donc travail dissimulé. Rappelons que le travail dissimulé fait courir des risques de sanctions administratives et pénales.

Administratives

  • suppression des aides publiques (par exemple les exonérations de charges sociales ou les aides à l'embauche d'un contrat d'apprentissage) pendant 5 ans maximum
  • remboursement des aides publiques déjà perçues sur les 12 derniers mois
  • exclusion des contrats publics pour une durée maximale de 6 mois
  • fermeture de 3 mois maximum décidée par le préfet avec confiscation du matériel professionnel
     

Pénales

  • jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende ainsi que les peines complémentaires suivantes :
  • interdiction d'exercer l’activité professionnelle pendant 5 ans maximum
  • exclusion des marchés publics pendant 5 ans maximum
  • affichage du jugement dans les journaux
  • diffusion de la décision de justice vous condamnant (décision pénale) dans une liste noire sur le site internet du ministère du travail. Cette diffusion dure 1 an. Pour les infractions de travail dissimulé commises sur mineurs ou sur des personnes vulnérables, la durée maximale de diffusion est de 2 ans.

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